“Notre monde fait face à des challenges de taille, et nous avons besoin de davantage de jeunes esprits pour mettre au point des solutions scientifiques tangibles."

STORI OATES, DIRECTRICE DU PROGRAMME MARC

Stori est à la fois enseignante et biologiste spécialisée dans l’étude de la faune sauvage. Elle a débuté sa carrière au sein de l’école vétérinaire de l’Université de Californie à Davis et du Centre de Recherche Vétérinaire dédié aux espèces marines du California Department of Fish and Wildlife, où elle a mené des recherches sur la santé et les maladies affectant les espèces marines en Californie. Elle dirige aujourd’hui la Marin Academy Research Collaborative (MARC). Transdisciplinaire et innovant, ce programme offre aux lycéens l’occasion de s’associer à la communauté scientifique au sens large et de travailler à la résolution de problèmes concrets pendant deux ans grâce à des outils et des cours de niveau universitaire.

Du choix de leur sujet à la publication des résultats de leur recherche, les étudiants apprennent à effectuer une revue littéraire rigoureuse, à collaborer avec des experts, à formuler des hypothèses, ainsi qu’à collecter et analyser des données avant de les présenter publiquement. Nombre de ces projets ont un impact significatif tant sur la communauté locale que sur le monde qui nous entoure. Depuis le lancement du programme, les jeunes chercheurs de Stori ont publié des études portant sur un large éventail de sujets, allant de l’application du graphène dans les super-condensateurs au nano-carbone aux conséquences de l’élévation du niveau de la mer sur les éléments vulnérables, des différentes sources de protéines à disposition des vers jaunes lors du processus de biodégradation du polystyrène pour augmenter leur durée de vie et leur efficacité aux effets de l’abaissement du pH sur la croissance et le développement de la carapace du crabe-taupe du Pacifique, pour ne citer qu’elles.

En l’espace de trois ans, la MARC est passé d’un projet pilote composé de cinq étudiants à un programme hautement compétitif dans le cadre duquel les étudiants collaborent avec des mentors issus d’agences gouvernementales, d’associations à but non lucratif ou d’universités.

Entretien avec Stori

COMMENT DÉFINIRIEZ-VOUS LE MOT “ENGAGEMENT”?

C’est une intention, une attention, un dévouement et une responsabilité vis-à-vis des objectifs, de la mission et de la vision de mon institution. La Marin Academy attend de chacun qu’il pense, crée et s’interroge tout en étant encouragé et soutenu. Elle les met au défi d’accepter les responsabilités liées à l’éducation dans une société démocratique. Je m’efforce sans cesse de proposer à mes étudiants les expériences les plus pointues tout en leur offrant une occasion unique de mener des recherches indépendantes.

VOUS ÊTES ENGAGÉE À SAN RAFAEL AVEC LA MARIN ACADEMY RESEARCH COLLABORATIVE DEPUIS QUATRE ANS MAINTENANT. POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS SUR VOTRE ENGAGEMENT? POURQUOI AVOIR CHOISI CETTE CAUSE PARTICULIÈRE?

J’ai toujours eu envie d’innover, de mener des programmes éducatifs et de faire tomber les barrières de l’inégalité et de l’exclusion. La MARC cherche à instiller l’enthousiasme, l’envie d’explorer et l’excellence académique chez des jeunes qui se passionnent pour la recherche et la découverte, au sein d’une communauté scientifique et mondiale en pleine évolution.


Le monde d’aujourd’hui est complexe, mondialisé et interconnecté. Il exige des individus instruits qu’ils soient capables de penser au-delà des disciplines universitaires traditionnelles. Mes étudiants sont des écrivains et des scientifiques, des mathématiciens et des artistes. Ils sont intellectuels et créatifs. Nous repoussons constamment les limites, en travaillant à l’élaboration d’un programme d’études indépendant des départements universitaires, centré sur des questions pertinentes qui affectent les individus et la société. Notre objectif est de donner aux étudiants les moyens d’établir des liens entre les différentes disciplines et de résoudre des dilemmes difficiles pour lesquels il n’existe pas de réponses toutes faites.

QUI EST LE PLUS IMPACTÉ PAR VOTRE ENGAGEMENT, ET COMMENT MESUREZ-VOUS CET IMPACT?

Nous sommes en 2019, et les femmes sont toujours sous-représentées dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques. En 2011, elles ne représentaient que 26% des chercheurs selon les chiffres du US Census Bureau publiés en 2012. Il est essentiel d’offrir à tous les élèves, et en particulier aux jeunes femmes, de nouvelles possibilités de résoudre des problèmes concrets au-delà d’une salle de classe grâce à la recherche, à l’apprentissage et à la collaboration. Pour mesurer cet impact, nous pouvons observer les progrès de nos étudiants. Communiquent-ils mieux? Sont-ils devenus plus critiques? Sont-ils désormais plus empathiques? Le nombre de candidates inscrites au programme est également un indicateur intéressant. Nous sommes passés de 40% de jeunes femmes la première année à 67% les années suivantes.

VOUS ÊTES CHERCHEUSE ET ENSEIGNANTE. QUELS EFFETS VOTRE ENGAGEMENT A-T-IL SUR VOTRE CARRIÈRE?

La science occupe une place importante dans la culture humaine. Nous sommes entourés par la technologie et les produits de la science au quotidien. Les décisions de politique publique qui affectent chaque aspect de notre vie devraient être fondées sur des preuves scientifiques. Aujourd’hui, les jeunes femmes grandissent dans un monde de plus en plus technologique et scientifique.

Elles doivent être équipées scientifiquement pour réussir dans la vie et s’engager autant que possible auprès de leurs communautés. En tant que chercheuse et biologiste de terrain, j’ai toujours cherché à partager mes expériences et mes connaissances avec autrui. Aider mes étudiants à développer leurs facultés d’analyse et leur sens des responsabilités vis-à-vis d’un monde qui va bien au-delà d’eux-mêmes m’a permis de fusionner mon engagement et ma carrière.

EN TANT QUE FEMME, COMMENT VOTRE ENGAGEMENT IMPACTE-T-IL VOTRE VIE PERSONNELLE?

La science a toujours été un domaine dominé par les hommes. Mes recherches sur la biologie de la faune sauvage m’ont permis de prendre conscience que la règle du jeu est structurellement biaisée en faveur des hommes blancs. De plus en plus de femmes et de personnes de couleur embrassent désormais une carrière scientifique ; leur nombre reste toutefois inférieur à celui des hommes blancs. Je suis consciente de ma blancheur et des privilèges et opportunités que cela a pu me donner. En tant qu’enseignante, je cherche à créer un environnement dans lequel les élèves peuvent apprendre de façon sereine en étant couronnés de succès, quel que soit leur domaine de prédilection. Je suis convaincue que le fait de relier les sciences à des évènements qui parlent aux lycéens permet de les motiver, de leur donner le goût des sciences et de la justice sociale.

QUEL EST SON EFFET SUR VOTRE TRAVAIL AU QUOTIDIEN?

L’apprentissage le plus efficace se fait dans un cadre où la différence est encouragée, où les points de vue et les expériences sont variées – même lorsqu’il s’agit de disciplines généralement cantonnées à des écoles indépendantes. Notre système éducatif apprend aux jeunes l’empathie, le recul, la conscience de soi – autant de qualités qui sont utiles bien après la fin du lycée. Le programme MARC permet aux jeunes de mener des recherches scientifiques originales. La plupart d’entre eux n’auraient pas eu cette occasion avant plusieurs années d’études supérieures. Concrètement, cela consiste à aider les étudiants à formaliser leur pensée pour en faire des scientifiques accomplis.

OÙ VOUS VOYEZ-VOUS DANS DIX ANS?

Mon objectif le plus important est de faire évoluer le programme MARC de sa phase pilote vers un plan soigneusement articulé dans lequel chaque étudiant publierait ses recherches à la fin du programme. Pour ce faire, nous devrons renforcer nos relations avec les universités, mettre l’accent sur les stages d’été et créer des bourses d’études pour les étudiants. Les jeunes sont très sollicités pendant l’été : certains travaillent pour gagner un peu d’argent, d’autres sont engagés dans d’autres projets… Ce n’est pas toujours simple pour eux de se concentrer pour rédiger et publier une recherche scientifique. J’aimerais qu’ils puissent aller au bout de leurs recherches sans contraintes, de façon à pouvoir livrer une analyse plus profonde, à interpréter et partager leurs données. J’espère aussi pouvoir étendre le programme MARC à d’autres disciplines d’ici 2029, que ce soit les sciences humaines ou les langues.

QUELLE TRACE VOULEZ-VOUS LAISSER AVEC LE PROGRAMME MARC?

Je voudrais qu’il permette aux lycéens d’aller au bout de leurs passions et de se poser des questions dans un cadre bienveillant qui favorise leur indépendance tout en les soutenant dans leur prise de risques. Leur recherches feront une différence à leur échelle personnelle, mais également à l’échelle du monde qui les entoure. Plus nous leur donnerons la possibilité de travailler ainsi, plus nous aurons un impact sur la société, en incitant les jeunes à se lancer dans des carrières scientifiques.